Jeudi 16 janvier, dans votre volonté d’éteindre l’incendie sans avoir à prendre en compte les causes du départ de feu, vous nous avez fait l’affront de déclarer sur RTL que le mouvement de protestation contre les E3C avait « un arrière-plan politique » et que certains d’entre nous cherchaient « à avoir une action politique contre le gouvernement ».
Vous nous permettrez de vous contredire.
Certes, le mécontentement que nous exprimons devant de nombreux aspects de votre réforme s’est trouvé de fait confondu avec la protestation contre la réforme des retraites, et nous avons souvent été tentés d’ajouter une mention spéciale sur nos banderoles, mais c’est bien la façon dont VOUS nous traitez, Monsieur le ministre, qui suscite notre exaspération aujourd’hui.
Nous sommes exaspérés parce que l’impréparation patente de votre réforme, la précipitation dans laquelle vous voulez la mettre en place à marche forcée, les bricolages de dernière minute dont nous sommes témoins circulaire après circulaire, nous mettent sans cesse en porte à faux vis-à-vis de nos élèves et nous obligent à leur donner une litanie d’instructions contradictoires qui augmentent leur stress et le nôtre.
Nous sommes exaspérés parce que, au-delà de la farce que constitue la logistique de ces premières E3C, ce contrôle, continu sans l’être tout en l’étant, avec sa farandole d’évaluations au cours des deux années de cycle terminal qui commence quatre mois seulement après le début de l’année de première, ne nous laisse plus le temps d’enseigner vraiment, mais seulement de préparer nos élèves à des épreuves spécifiques, avec tout le bachotage qu’implique un tel calendrier.
Nous aimons notre métier, Monsieur le ministre. Nous aimons ces jeunes que nous avons en charge à un moment-clé de leur passage à l’âge adulte. Nous aimons, seuls ou en équipe, élaborer des stratégies pédagogiques pour leur permettre d’acquérir des compétences ou de développer leur esprit critique. Nous aimons cette relation particulière que nous avons avec eux, cette confiance qu’ils nous accordent, les moments de grâce lorsque nous constatons que les objectifs ont été atteints. Et c’est sans relâche que nous travaillons pour tenter de faire progresser tous nos élèves, et tout particulièrement ceux pour lesquels la vie pourrait bien ouvrir moins de portes.
C’est pour cela que nous ne supportons plus aujourd’hui le mépris avec lequel nous traite votre ministère. Nous ne supportons plus les réponses creuses qu’apporte notre hiérarchie pédagogique à nos questions et protestations. Nous ne supportons plus que, à bien des égards, cette réforme vide notre métier de son sens et nous rende, par la force des choses, parfois inefficaces et dans l’incapacité d’aider ceux de nos élèves qui auraient le plus besoin de nous. Nous ne supportons plus les humiliations et le manque de reconnaissance de notre implication que nous constatons jour après jour, que ce soit à travers l’absence d’écoute de la part de nos supérieurs, la baisse de notre pouvoir d’achat pour les actifs comme pour les retraités, la situation précaire de nos collègues contractuels … Nous ne supportons plus les beaux discours ayant pour but de faire croire que votre réforme, que vous et nous savons uniquement comptable, met l’élève au cœur du système scolaire, et la communication visant à nous faire passer pour une bande de privilégiés paresseux et sclérosés, dont il serait grand temps d’augmenter le temps de travail. Nous ne supportons plus cette dégradation de notre mission et la place que vous nous faites dans la société, qui finiraient par nous rendre insupportable ce métier que pourtant nous aimons.
Monsieur le ministre, vous nous faites une fois de plus injure lorsque vous essayez de faire croire à nos concitoyens que nous faisons de l’école un « terrain de jeu politique ». Nous ne jouons pas, et nous sommes vent debout pour défendre nos élèves, notre métier et le service public dont il fait partie.